Le massage, une éloge à la lenteur

Fleur Soins Alternatifs
Le massage, une éloge à la lenteur

Pour qu’un massage puisse venir du cœur, sa première condition est la lenteur.

Les gestes fluides sont beaux. Les gestes beaux sont agréables à voir, ils ont souvent l’air très professionnels. Mais voilà : ils ne sont jamais vraiment très bien exécutés s’ils sont rapides.

Et c’est vraiment un gaspillage si un massage est un enchaînement de beaux gestes ; il se doit d’être une caresse qui modèle et transforme les chairs, un fluide qui entraîne le massé en-dehors de lui-même pour réatterrir dans un nouveau lui-même, détendu et transformé pour le bien.
 

Combien ai-je vu de masseurs professionnels et d’enseignants de renom bâcler des gestes pourtant beaux. Et toute l’assemblée qui faisait des oh et des ah. « Ça en jette » comme on dit, mais ce n’est pas la pseudo-maîtrise par une exécution à haute vitesse qui fait une manœuvre bien faite. Le geste, trop rapide et mal contrôlé, est moins agréable à recevoir.

Deux choses pêchent : la régularité du contact et la provenance de l’intention du geste.

Le contact est irrégulier, c’est-à-dire qu’il s’allège et s’alourdit, il se perd et tape dans les chairs à son retour. On ne le perçoit que peu la plupart du temps si l’on n’est habitué qu’à ces gestes-là. Et hélas, c’est souvent le cas.

Le geste provient d’une intention moins utile et moins noble. C’est tout simplement à dire que le cœur n’en est plus le seul moteur. La vraie intention de cœur s’efface lors de manœuvres stressées. Cette vitesse compromet la fluidité que le mental devrait céder à l’amour pour que la répercussion du massage ne soit pas « Oh ben ce fut un bon massage, mes muscles vont mieux, merci » mais « Oh ben woaw, j’ai passé un moment hors du temps et un peu plus en moi, merci ».

Mais voyons ce qui se passe chez le massé.

On ne peut « rentrer » dans l’autre que par son acceptation et son invitation subtiles. Il faut obtenir celles-ci sur plusieurs plans. Le premier plan physique mime parfaitement ce qu’il se passe sur les autres et il suffit à lui-seul à démontrer ce qui est en jeu et comment cela se déroule.

En effet, les tissus sont des parties vivantes d’un être vivant conçu en tant que totalité qui, entre mille choses, se défend d’intrusions. Lorsque l’on déforme un tissu humain rapidement, il s’y produit un mécanisme de défense si rapide que le cerveau ne peut intervenir pour le contrer et « relâcher pour permettre l’intrusion ».

On a tous à l’esprit l’image du médecin frappant d’un petit coup de marteau le tendon rotulien d’un patient assis au bord de la table de consultation. Testant ainsi les réflexes, il provoque l’extension du genou. C’est irrémédiable et il n’y a pas de contrôle possible du geste. Ceux qui ont soigné des patients spastiques en ont vu le déroulement poussé à l’extrême de l’incontrôle.

Et cela se passe dans tous les tissus. Il s’y passe un raidissement, un spasme, une contraction etc. (bien plus doucement que lors du réflexe provoqué par le marteau). Cela nous est utile à ne pas nous tordre la cheville dix fois par jour. Cela sert à ce qu’une agression mécanique porte des conséquences le moins en profondeur possible et le moins grièvement possible.

Quand nous massons un tant soit peu vite, nous provoquons des réflexes de protection. Que nous le voulions ou pas. Et même : que nous le remarquions ou pas ! Hélas trop de masseurs survoltés vont aussi trop vite pour s’en apercevoir. En fait, au-delà de la vitesse exagérée lors de leur manœuvre, ils n’ont jamais eu tant l’expérience de la lenteur qui leur donnerait un point de comparaison.

Donc lors de manœuvre rapide, il se produit une augmentation du tonus basal des muscles et une contraction concomitante. Tous deux empêchent physiologiquement une détente complète ainsi qu’une pénétration apte à fournir le soin nécessaire soit à cette structure-là soit aux structures sous-jacentes.

Donc si nous allons vite sur les muscles situés de chaque côté de la colonne vertébrale par exemple (les paravertébraux), il est tout bonnement physiologiquement impossible d’agir sur les muscles courts et profonds. Même si l’appui est très fort.

Il est impossible de surprendre les muscles par des gestes de massage : il faut se faire accepter par eux.

La même chose se confirme au niveau d’autres téguments comme la peau et les viscères. Nous ne pouvons nous en faire accepter que par la douceur. Sinon, nous leur fournissons une agression dont ils se passeraient bien.

Poussé à l’extrême de l’intrusion minimale, le phénomène des chatouilles illustre aussi, sous sa forme joviale, la défense de l’être menacé.

Nous nous devons de la lenteur, nous nous devons de la douceur. Et cela n’est pas du tout de l’ordre de ce que le patient aime, c’est bien avant cela de l’ordre de ce que les tissus du patient peuvent accepter et accueillir.

Si le geste est lent, il coule non-seulement à la surface du patient, mais il laisse la main couler « dans » le patient, le pénétrer et le transformer.

Si le geste n’est pas lent, il perd sa fluidité et s’il perd sa fluidité, il démontre sa perte de cœur.

Bien au-delà de toute considération physiologique, c’est en effet déjà ceci qui prime.

Quand le masseur met son cœur dans son ouvrage,
donne à sa manœuvre du temps
et laisse peut-être même libre cours à ses envies,
le massé trouve du bonheur dans ce partage,
perd la notion du temps
et voit peut-être même des choses changer dans sa vie.

 

Marc Ivo Böhning, écrivain-enseignant physiothérapeute, naturopathe et aromathérapeute.

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